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Quel avenir pour les restos-bars sportifs?

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Il porte un veston dans l'un de ses établissements.
Jean Bédard président et chef de direction du Groupe Sportscene inc, qui dirige la bannière La Cage

PHOTO : COURTOISIE JEAN BÉDARD – FACEBOOK

Jean-François Chabot La Pressse 2020-05-05 | Mis à jour hier à 16 h 01

La perspective d’une réouverture complète des établissements qui ont l’habitude d’accueillir des amateurs pour manger en suivant le sport sur des écrans géants est loin d’être garantie.

La pandémie de la COVID-19 a déjà des effets dévastateurs sur des milliers de propriétaires et d’employés du monde de la restauration.

Plus de 240 000 personnes dépendent de cette industrie au Québec. Cela va des chefs au personnel de service, en passant par les préposés au bar et les plongeurs. La fermeture forcée de près de 20 000 établissements est venue freiner d’un coup leur unique source de revenus.

Des institutions comme La Cage et La Station des Sports, où l’on se regroupait pour regarder un match du Canadien, le Super Bowl ou un grand combat de boxe, sont au nombre des victimes collatérales du coronavirus.

Jean Bédard, président et chef de la direction de Groupe Sportscene inc., qui dirige la bannière La Cage, est inquiet face à une relance aussi incertaine qu’imprévisible.

Le 12 mars dernier, il dévoilait son plan d’action pour les cinq prochaines années. Son groupe était en voie de connaître la meilleure année de son histoire. Mais ce jour-là, tout a été chamboulé.

Au début, on a posé des gestes à court terme, pour des périodes allant de deux à quatre semaines. Mais là, on se rend compte que l’on fait face à quelque chose qui sera assez long, note-t-il.

Il souligne qu’en l’espace de quelques jours, les ventes ont chuté de près de 95 %, ne laissant que les miettes du service de commandes à emporter et la livraison dans une vingtaine des 52 restaurants que compte la chaîne.

La pandémie a emporté avec elle 3000 des 3200 emplois, à temps complet et à temps partiel, que générait la chaîne.

Cela a été un choc. Au début, je comparais la situation à une course. Maintenant, je vois plus ça comme un combat de boxe. Tu étais en contrôle de la situation et un coup de poing, que tu n’aurais jamais pu prévoir, est arrivé. Tu es ébranlé et tu tentes de recouvrer tes esprits.Jean Bédard, président et chef de la direction de Groupe Sportscene inc.

Le sport sur la banquette arrière

Jean Bédard souligne, non sans un certain soulagement, que sa bannière avait pris ses distances, au cours des dernières années, avec son identité d’origine liée aux événements sportifs qui attiraient l’essentiel de sa clientèle.

De plus, en juillet 2016, Sportscene a cédé sa propriété InterBox à Eye of the Tiger Promotions, s’éloignant pour de bon de la promotion de la boxe professionnelle.

Une décision qui fait dire à Bédard qu’il aurait probablement eu des choix pénibles à faire s’il n’avait pas procédé à ces changements.

Il reste que la crise place tous les propriétaires de restaurants et de bars dans une situation difficile.

Pour La Cage, c’est la combinaison de la fermeture de ses salles à manger et de l’absence de manifestation sportive qui est dure à encaisser.

Les choses n’étaient déjà pas faciles quand le Tricolore ratait les séries éliminatoires, alors imaginez ce que c’est maintenant que la planète sport au grand complet et la restauration sont à l’arrêt.

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Plus rien ne sera pareil

Il est déjà clair dans la tête de Jean Bédard et de ses franchisés que les façons de faire et d’opérer ne seront plus jamais les mêmes.

Il y aura un avant et un après pandémie. De la même façon que l’on a changé notre expérience dans les aéroports après le 11 septembre 2001. Ce qui me préoccupe, c’est l’expérience client quand ils reviendront chez nous. Je ne voudrais pas qu’ils aient l’impression de rentrer dans un hôpital.Jean Bédard

S’il estime que la plupart des restaurants qu’il exploite sont suffisamment vastes pour y pratiquer une distanciation physique adéquate, il ajoute que la diminution de nombre de tables entraînera inévitablement une perte de revenus qu’il faudra gérer.

Les gens auront besoin de se changer les idées. Mais ils voudront le faire en toute sécurité. On espère leur offrir ça dans les prochaines semaines, dit-il.Il donne une entrevue sur une terrasse.

Peter Sergakis

PHOTO : THE CANADIAN PRESS / RYAN REMIORZ

Plus petit, même réalité

Le coup est aussi très brutal pour Peter Sergakis, propriétaire unique des sept restaurants La Station des Sports, que l’on retrouve essentiellement à Montréal et dans la proche banlieue.

Environ 600 employés, à temps complet ou à temps partiel, y travaillent.

Ce n’est pas facile. Les employés nous appellent. Ils veulent savoir quand ça va reprendre. Mais ça va être très dur, indique l’homme d’affaires qui œuvre dans le milieu des bars et des restaurants à Montréal depuis près de 50 ans.

Il ne s’attend pas à un retour rapide de la clientèle dès que l’ouverture de ses établissements sera de nouveau permise.

Ç’a été difficile de mettre tout le monde au chômage. Mais la réouverture ne sera pas facile. Il n’est pas certain que les consommateurs reviendront tout de suite, reconnaît-il.

Les restaurants et les bars sont des lieux de plaisirs, de partys. On s’y rend avec les amis pour s’amuser. Avec une distance de six pieds (2 mètres) entre les clients, avec des employés portant des masques et des gants, ça ne fait pas plaisir au consommateur.Peter Sergakis, homme d’affaires

Dommages irréparables?

Jean Bédard et Peter Sergakis s’interrogent sur la durée de cette pause qui prend de plus en plus les allures d’une interruption dont on ne voit pas la fin.

Déjà, certains spécialistes ont évoqué la possibilité de voir jusqu’à 10 % de tous les restaurants du Québec être contraints de jeter l’éponge et de mettre la clé sous la porte.

Tous deux s’attendent à un bilan encore plus dramatique si la crise devait perdurer.

En tenant compte de la peur qui s’est installée chez les gens, tout le monde ne voudra pas retourner au restaurant. Je pense que ce qui pourrait vraiment détruire complètement l’industrie serait de rouvrir pour reconfiner peu après. Je ne pense pas que les restaurateurs pourraient vivre ça deux fois.Jean Bédard

Pour Jean Bédard, il est important de choisir le bon moment pour rouvrir et regagner la confiance des clients et des consommateurs.

Peter Sergakis se montre encore plus pessimiste. Il ne voit pas de relance possible de la restauration avant la découverte d’un vaccin pour enrayer le virus.

Il estime que 50 % des propriétaires indépendants pourraient devoir cesser leurs opérations de façon permanente face à une crise qui perdurerait.

Je ne vois pas les gens revenir avant un an ou deux. Il faudra d’abord que l’on découvre le vaccin et les médicaments pour permettre aux gens de survivre, dit-il. Il faut aussi que l’on protège nos employés qui se retrouvent eux aussi en première ligne.

Le patron doute d’ailleurs que ses employés aient nécessairement envie de revenir travailler dans le même genre d’environnement où la proximité augmente les risques de transmission.

Je pense que je vais attendre de voir comment ça se passera pour les autres avant de songer à rouvrir les Stations des Sports. De toute manière, à l’ouverture, on opérera avec le personnel minimum pour respecter la distanciation sociale, renchérit M. Sergakis.

L’idée de faire fonctionner ses restaurants sans la reprise des activités dans les grandes ligues du sport professionnel le fait frémir.

C’est catastrophique pour nous! On peut être là et se dire que les choses vont revenir. Tant que le client aura dans l’esprit qu’il y a le moindre risque [d’attraper le virus, NDLR], il ne viendra pas. La moindre baisse d’achalandage rendra nos établissements non rentables.Peter Sergakis

Expliquant que même avant la pandémie, les profits dégagés par ses restaurants étaient minimes, Peter Sergakis ajoute qu’il faudra que les gouvernements fédéral et provincial soutiennent l’industrie avec des subventions sur une longue période, voire tant et aussi longtemps que l’on n’aura pas retrouvé une certaine normalité.

Jean Bédard tient à rappeler que derrière toutes les entreprises de restauration se trouvent aussi une multitude de fournisseurs et de partenaires qui alimentent chacune des tables et des cuisines.

Ceux-là aussi ont été affectés du jour au lendemain par cette crise. Ils auront eux aussi à se réorganiser. C’est pourquoi il sera aussi difficile de relancer la restauration du point de vue de la distribution alimentaire, précise-t-il.

M. Sergakis insiste sur la hausse du coût des matières premières depuis la fermeture forcée de ses restaurants. Il souligne que le prix de la viande et des légumes a grimpé en flèche et que les clients n’auront pas l’argent en poche pour subir une augmentation de leur facture.

M. Bédard est d’avis que de nombreux changements s’opéreront parmi les consommateurs. Il affirme que certains des nouveaux comportements avaient déjà été initiés, tandis que d’autres iront en s’accélérant.

Preuve, s’il en fallait une de plus, qu’il ne suffira pas de rallumer les fourneaux, les enseignes et les écrans géants pour que les ventres creux et les amateurs d’ailes de poulet ou de hamburgers reviennent en masse.

Même avec un petit miracle, tout le monde risque de ne pas retrouver son restaurant préféré