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La Cour supérieure du Québec rend une première décision sur l’impact de la COVID-19 en matière de louage commercial

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Auteurs : Marc-André BoutinElias Benhamou et Pierre Lantoin
22 juillet 2020 (Davies Avocats)

La Cour supérieure du Québec a rendu une décision le 16 juillet 2020 affirmant que la fermeture obligatoire des commerces, décrétée le 24 mars 2020 par le gouvernement du Québec en raison de la pandémie de COVID-19, constitue un cas de force majeure. La Cour interprète également une clause du bail prévoyant qu’un locataire paiera le loyer même en cas de force majeure et conclut qu’elle ne s’applique pas à la situation des parties.

C’est l’une des premières décisions liées à la crise du COVID-19, expliquant qui, du locateur ou du locataire, peut invoquer la force majeure et quel est l’effet des clauses de force majeure, omniprésentes dans les baux commerciaux.

Contexte

Hengyun International Investment Commerce Inc. (« Hengyun ») loue ses locaux à 9368-7614 Québec inc. (« Québec inc. ») afin d’y opérer un gym. Hengyun poursuit Québec inc. pour loyers impayés. Québec inc. prétend n’avoir aucun loyer à payer pour les mois de mars à juin 2020 en raison de la fermeture obligatoire du gym par le gouvernement. Le locataire invoque la force majeure.

Le bail contient la clause de force majeure suivante :

« …if the Landlord or the Tenant is delayed or hindered in or prevented from the performance of any obligation […] by reason of superior force […], then the performance of such obligation is excused for the period of the delay, and the party so delayed shall be entitled to perform such obligation within the appropriate time period after the expiration of such delay, without being liable in damages to the other.

However, the provisions of this section […] shall not operate to excuse the Tenant from the prompt payment of the Base Rent or Additional Rent or any other payments required by this Lease. »

Décision

La Cour confirme que la fermeture obligatoire des commerces en raison de la pandémie de COVID-19 est un cas de force majeure. La force majeure est un évènement que le débiteur ne pouvait prévoir, auquel il ne pouvait résister et qui a rendu impossible l’exécution de son obligation. La Cour estime que la fermeture forcée du local loué était imprévisible pour les parties lorsqu’elles ont signé le bail.

La Cour ajoute toutefois que c’est le locateur qui était en situation de force majeure et non le locataire. En effet, malgré son incapacité à générer des revenus, le locataire ne peut invoquer la force majeure pour justifier le non-paiement du loyer. Pour être considéré comme « irrésistible », l’évènement doit être de nature à empêcher un locataire de payer son loyer, peu importe sa situation financière. La Cour conclut qu’un locataire ayant des moyens financiers suffisants peut, en théorie, assumer cette obligation.

En revanche, un locateur affecté par le décret devait fermer ses locaux. Le locateur était donc dans l’impossibilité de procurer la jouissance paisible des lieux à son locataire. Par ailleurs, même si les biens du locataire sont toujours entreposés sur place, c’est l’activité commerciale, telle que définie dans le bail, qui a été interdite par décret. La Cour estime donc que le locateur doit être excusé de son défaut de procurer la jouissance paisible.

Même si, en principe, le locateur ne peut exiger le paiement du loyer s’il ne peut procurer la jouissance paisible des lieux, Hengyun invoquait la clause de force majeure du bail pour obtenir le paiement du loyer. La Cour a rejeté cette prétention.

Premièrement, la Cour affirme que la clause de force majeure, telle que stipulée, permet à une partie d’être excusée de son défaut s’il résulte de l’exécution tardive de l’obligation en raison d’un cas de force majeure, et non pas s’il résulte d’une inexécution de l’obligation. La Cour considère que l’obligation du locateur de procurer la jouissance paisible n’a pas été retardée par la pandémie, elle n’a simplement jamais été exécutée.

Deuxièmement, la Cour ajoute que, même si la clause devait être interprétée différemment, un locateur ne peut pas s’exonérer intégralement de cette obligation essentielle. La Cour estime que si des parties peuvent limiter les impacts causés par le défaut d’un locateur de procurer la jouissance paisible des lieux, elles ne peuvent les exclure intégralement.

La Cour conclut que le locataire n’a pas à payer les loyers dus pendant la période de fermeture obligatoire du gym.

Conséquences

Cette décision peut avoir un impact important sur les litiges à venir, et résultant de la fermeture forcée des commerces. La question de l’exonération d’un locateur de son obligation de procurer la jouissance paisible, tel que le mentionne la Cour supérieure du Québec dans ce jugement, sera sans doute au cœur des débats. Que l’on soit locateur ou locataire, il est important de porter attention au libellé précis d’une clause de force majeure stipulée dans le bail afin d’en vérifier la portée