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De généraliste à spécialiste

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REvue HRI 28 mars 2022 | Par Sophie Poisson

« Quelle est votre spécialité ? » Un nombre croissant de restaurateurs qui pouvaient avoir un
établissement généraliste ont choisi de s’appuyer sur cette question souvent posée aux serveurs par les nouveaux clients pour ouvrir un restaurant de spécialité.

« Le consommateur est de plus en plus informé ; il sait de plus en plus ce qu’il veut, et c’est pour ça que la spécialisation va devenir un incontournable », annonce Gilles Trépanier. Son entreprise, Restolutions, se veut un guichet unique d’offres complètes en services utiles aux industries de la restauration et de l’alimentation. Il remarque une tendance de plus en plus marquée depuis une dizaine d’années, avec une spécialisation se faisant par région ou par produits. « L’élément principal qui fait que les restaurants se spécialisent est l’envie d’offrir aux clients un rappel de leur voyage », estime l’homme d’affaires. Il ajoute que ce sont souvent des entrepreneurs originaires d’un pays étrangers qui ouvrent un restaurant de spécialité dans leur pays d’adoption et font ainsi découvrir la cuisine de leur pays.
Le modèle serait particulièrement propice aux chaînes en raison de leur processus de standardisation.

Jean-Michel Paquet est président de Küto – comptoir à tartares, qui compte une trentaine d’adresses dans la province. Il a possédé plusieurs restaurants dans le passé : un bistro haut de gamme, un steakhouse Apportez votre vin et un bistro. Et chaque fois, le tartare était le plat le plus populaire, qu’il soit à base de bœuf, de thon ou de saumon. Pour développer son concept, il a aussi pris exemple sur le restaurant L’Entrecôte Saint-Jean à Montréal pendant 29 ans a uniquement servi du steak frites. « Le tartare est assez « santé ». Il reflète la tendance des dernières années, qui amène la société à bien manger et à faire attention aux calories. On a plusieurs bonnes années devant nous ! » Jean-Michel Paquet considère que de nombreux produits — notamment la poutine — se prêtent bien au concept de spécialisation, mais il émet des réserves quant aux produits de créneau, comme le ris de veau.

« La spécialisation est un élément de différenciation, affirme le propriétaire du restaurant Casa Calzone à Québec Richard Gauvreau. Il y a des risques liés à ça : dans notre cas, le calzone – une pizza pliée en deux – n’est pas un produit que tout le monde connaît. Mais l’avantage est qu’on n’est pas nombreux à le proposer. Ça nous positione donc sur le marché. Et ceux qui ont le goût d’en manger peuvent avoir le réflexe de penser à nous, puisqu’on en
une spécialisation et que le nom du produit se retrouve dans celui du restaurant. » Si les généralistes s’adresse plutôt à une clientèle locale, les établissements spécialisés visent plus large. Le propriétaire reconnaît ne pas être dans un circuit touristique particulier, mais il assure que certains n’hésitent pas à faire un détour pour s’attabler à son restaurant.

Tous s’accordent pour dire qu’il faut être le meilleur – tant comme généraliste que comme spécialiste –, car les clients ont beaucoup de choix, dont celui d’aller manger ailleurs. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Richard Gauvreau a choisi le calzone plutôt que la pizza classique : « Si l’on cuit des saveurs à l’intérieur, le résultat est très différent de ce qu’on peut retrouver dans une pizza sur laquelle les ingrédients sont déposés et peuvent
sécher. On a aussi un peu modifié le calzone traditionnel, qui est à mon avis un produit banal. On se fait une fierté de dire que le nôtre est plus gonflé et qu’il a une croûte plus croustillante, qu’il faut casser. Et on a une façon de le présenter avec de l’huile en accompagnement, qui est propre à notre établissement. »

Question de plaire au plus grand nombre, le menu de Richard Gauvreau offre une vingtaine de pizzas, notamment des variantes qui tiennent compte des différents allergènes et régimes alimentaires. Il y apporte régulièrement des nouveautés, par exemple en ajoutant le calzone au homard ou le calzone mac & cheese, pour répondre aux attentes d’une clientèle curieuse de toutes les essayer. Sous l’appellation « Signatures » se retrouvent par contre des plats qui
resteront toujours au menu, par exemple l’Infarctus – à base de sauce bolognaise, pepperoni, saucisse, jambon, bacon, boulettes et mozzarella –, car la majorité de ses clients passent toujours la même commande.

Quand ils ont aimé un plat, ils veulent le retrouver à la visite suivante. Les restaurants qui ont 50 ans d’existence ont souvent même menu qu’à leurs débuts. À un moment donné, tu es obligé d’offrir quelque chose et d’y croire. Ça signifie garder une constance, une qualité et un goût. »

Du côté de Küto, les classiques tartares de bœuf et de saumon ont été retirés du menu après trois ans, car ils n’étaient pas les plus populaires. Par contre, comme les ingrédients sont utilisés dans d’autres versions, ils restent disponibles à la demande. Les clients ont le choix parmi 16 plats tirés de concepts, par exemple un tartare de saumon fish’n’chips avec citron, mayonnaise et cornichon ou un tartare style pub avec cheddar fort et émulsion de bière noire. « On veut toujours amener de la nouveauté pour rester intéressant pour la clientèle et avoir la meilleure qualité. Malgré ça, on ne fait pas de tartare de bœuf avec du filet mignon parce que ce ne serait pas achetable.
Comme Casa Calzone, Küto considère ne pas avoir beaucoup de concurrence du côté des restaurants spécialisé malgré l’arrivée du tartare aux menus de restaurants généralistes comme La Cage – Brasserie sportive et St-Hubert qui sont davantage connus pour leur poulet.

ENJEUX DE RENTABILITÉ

Le fondateur de Restolutions fait savoir que la spécialisation amène à avoir de plus petits restaurants, ce qui signifie de plus bas loyers aussi une plus petite équipe, et donc une masse salariale moindre. Cela signifie aussi utiliser moins d’ingrédients, donc avoir moins de commandes à passer auprès de fournisseurs et avoir de meilleurs prix en achetant les ingrédients principaux en plus grande quantité
« Tous les aspects de la restauration sont avantagés par le fait d’être spécialisé », assure Gilles Trépanier, qui précise que sa société-conseil est elle aussi spécialisée : la restauration a été divisée en différents modules au sein desquels se trouve un spécialiste, par exemple développement de cuisine, des opérations, du marketing ou encore du design.

Jean-Michel Paquet aborde aussi les avantages du restaurant spécialisé en matière de main-d’œuvre : « Comme nos techniques de travail sont beaucoup plus spécialisées, nos employés font souvent la même chose, ce qui limite les marges d’erreur et rend le travail tellement
simple que n’importe qui peut préparer les plats et les monter. On est en plus dans une formule de grosse bannière, bien qu’on n’en soit pas une. On a néanmoins une cuisine centrale, qui fabrique la plupart de nos ingrédients, comme nos croûtons et nos sauces. Le produit est ainsi assez standardisé ce qui limite également les marges d’erreur »